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Pourquoi y eut-il un 18 juillet 1936 ? (III) : le printemps tragique


Y avait-il des raisons de s’alarmer ? Oui. La violence était déjà maîtresse des rues. Entre les mois de février et de juin 1936, il y eut plus 300 assassinats politiques. Les anarchistes l’avaient lancée des années auparavant, au cours du premier mandat d’Azaña. À présent les socialistes se joignaient à l’orgie de coups de feu et d’incendies. De l’autre côté, les phalangistes répliquaient. Et ce n’étaient pas les seuls, parce que le climat politique se détériorait très rapidement. Le gouvernement, devant un tel spectacle, était débordé par les événements. Il pouvait réprimer les droites, mais il lui était beaucoup plus difficile de le faire pour les gauches, parce qu’en fin de compte sa majorité parlementaire dépendait d’elles.


Pour conjurer le climat de guerre civile et asseoir son propre pouvoir, Azaña et le socialiste Indalecio Prieto ourdirent une manœuvre plus ou moins légale qui passait par le renversement d’Alcalá Zamora de la présidence de la République, car ils se méfiaient de lui. Il se trouve que la loi ne permettait au président de dissoudre les Cortes que deux fois, la seconde devant être jugée par la chambre. Or Alcalá Zamora avait dissous les Cortes deux fois : la première, pour former les constituants, et la seconde pour convoquer les élections de 1936 [c'est-à-dire pour porter la gauche au pouvoir]. Prieto et Azaña s’accrochèrent à cela pour accuser le président d’avoir dissous les Cortes sans justification. En réalité, il s’agissait d’un coup d’État légal. L’objectif était qu’Azaña devienne président de la République et qu’Indalecio Prieto devienne président du gouvernement, mais quelque chose vint contrarier leurs plans : l’opposition de la fraction socialiste majoritaire, celle de Largo Caballero, lequel ne voulait en aucun cas de Prieto au gouvernement. Pourquoi ? À la fois à cause de l’ambition de Largo, qui était allergique à toute autorité qui ne fût pas la sienne, et à cause de la crainte de ce que Prieto ne paralyse le processus révolutionnaire. Les factions de Prieto et de Largo s’étaient affrontées à coup de feu pendant la campagne électorale. Ce n’est pas maintenant qu’ils allaient faire la paix. Prieto resta sans récompense. C’était en avril 1936.


La direction du gouvernement finit par échoir à un homme d’Azaña, Casares Quiroga, sans énergie pour contrôler l’emballement des gauches. Bien au contraire, toute sa volonté semblait mise à se gagner la faveur des révolutionnaires. Le résultat fut une politique absolument arbitraire. Franco fit les frais dans sa propre chair d’un bon exemple de cette politique hémiplégique lorsqu’il se présenta comme candidat aux élections partielles de Cuenca. Dans cette province, la bagarre électorale de février avait laissé la circonscription sans représentant. Il fallut renouveler les élections et les droites présentèrent une liste “préventive” : elle était composée de José Antonio Primo de Rivera, afin qu’il sorte de prison, de Goicoechea, qui était le chef le plus connu des monarchistes de Renovación Española, et de Franco lui-même. À ce qu’il semble, Gil Robles, alors dans l’opposition, voulait l’attirer à Madrid et exhiber sa présence aux Cortes en guise d’avertissement. Le gouvernement s’opposa à la candidature de Franco et le résultat final de ces élections fut tout aussi frauduleux que celui des élections générales.


À ce stade, les conspirations à l’intérieur de la droite étaient déjà inévitables. Et Franco ? Il se réunit avec les uns et les autres, il participe avec Mola à une discrète assemblée de généraux retraités, il maintient également des contacts avec la CEDA, il rencontre même José Antonio Primo de Rivera [et ne s’entendirent absolument pas]. Mais si quelque chose caractérise bien Franco à cette période, c’est son extrême prudence. Beaucoup lui reprocheront alors son indécision et son manque de courage, mais il ne s’agissait pas de cela. Pendant son étape de chef de l’État Major – Payne et Palacios ont très bien documenté cet épisode – Franco avait créé un service de contre-vigilance pour connaître l’ambiance dans les casernes, et grâce à cet instrument il savait que le pourcentage de révolutionnaires à l’intérieur des forces armées était très élevé. Il sait que toute tentative d’écarter le Front Populaire du pouvoir se solderait inévitablement par beaucoup de sang répandu. Il sait aussi que la passivité du gouvernement conduit les choses à une situation sans retour. Le 23 juin 1936, Franco écrit au président du gouvernement d’alors, Casares Quiroga, pour lui exprimer son inquiétude devant la situation politique et sa préoccupation dans des domaines militaires. C’était une dernière cartouche. Casares n’a même pas répondu.


Le plan de Mola était prêt à la fin du printemps. Ce n’était pas un “pronunciamiento” comme ceux du 19e siècle, ni davantage un coup d’État “technique”, avec occupation de centres de pouvoir, mais bien plutôt une sorte de marche militaire sur Madrid à partir des centres que l’on espérait contrôler à la périphérie : Barcelone, Pamplune, la Galice, l’Andalousie, etc. Franco ne le voyait toujours pas clairement, mais l’effervescence dans les rues et l’impuissance du gouvernement conduisaient à un dénouement inéluctable. Le 13 juillet 1936, des policiers d’obédience socialiste sortent de la caserne de Pontejos, à Madrid, pour tuer les chefs de l’opposition. Quelqu’un prévient Gil Robles à temps et il peut se sauver, mais la police localise Calvo Sotelo dans sa maison, le fait monter dans un fourgon et là lui tirent deux balles dans la tête. « Cet attentat, c’est la guerre », – dira le chef socialiste Zugazagoitia lorsque les propres auteurs du crime lui racontèrent ce qui était arrivé.


C’était vrai. Ce jour, Franco cessa de douter. Le soulèvement commença dans l’après-midi du 17 juillet 1936 à Melilla. Le coup d’État proprement dit échoua, mais comme celui-ci n’était pas seulement une conspiration militaire mais une rébellion de la moitié de l’Espagne, il tourna en guerre civile. C’est ainsi que tout commença.

José Javier Esparza

Source : LA GACETA

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