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Pourquoi y eut-il un 18 juillet 1936 ? (II) : Des élections malhonnêtes



Les élections de février 1936 furent tout sauf un exemple de propreté démocratique. Le climat général, pour commencer, était celui d’une irréversible crispation. La gauche formait un vaste bloc, le Front Populaire, allant des républicains d’Azaña à ce qui n’était encore qu’un petit Parti Communiste, en passant, évidemment, par le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE), lequel était le grand parti de masse de la gauche. La coalition comptait en outre sur le soutien exprès des anarchistes de la CNT. Azaña voyait ce bloc comme une « conjonction républicaine » qui permettrait de maintenir la droite éloignée du pouvoir et de mener à bien le projet réformiste radical auquel il se référait depuis 1930 : une sorte de révolution française à l’espagnole. La gauche révolutionnaire consentirait-elle à rester en marge ? Azaña paraissait persuadé que sa simple personne suffirait à conjurer tout danger. En outre, il misait sur la proximité de socialistes connus tels qu’Indalecio Prieto, partisans d’une “révolution graduelle”. Cependant, l’aile majoritaire du PSOE, celle de Largo Caballero, voyait les choses de manière différente, car pour elle la victoire électorale n’était qu’un passage obligé pour instaurer la dictature du prolétariat. Il faut lire les textes de Largo Caballero lui-même et de son journal, “Claridad” : le PSOE d’alors rêvait ouvertement d’une Espagne soviétique.


La droite, de son côté, se présentait aux élections dans un état d’esprit partagé entre l’exaspération, la déception et la peur. Après avoir été délibérément éloignée du pouvoir – pourtant légitimement gagné – par des manœuvres de palais, elle était confrontée à la dure constatation de ce que ses voix avaient servi à bien peu de chose et, par dessus tout, était terrifiée par la volonté révolutionnaire sans équivoque de la gauche. Ses candidats aspiraient dès lors de plus en plus à des solutions “d’ordre” et croyaient de moins en moins en la République elle-même. Il n’y avait certainement pas de projets des droites pour la IIe République. S’il y en avait eu un, l’amère expérience de gouvernement l’avait chassé pour toujours.


Les élections furent gagnées par le Front Populaire. Ce que personne ne peut dire c’est qu’elles furent gagnées honnêtement. Les résultats du premier tour – en voix – ne furent jamais proclamés. De fait, le premier calcul relativement documenté du scrutin réel fut celui que publia Tusell dans les années 1970 [un ballotage donnant un léger avantage à la gauche], et encore ce résultat est-il discutable. Le décompte des voix et l’attribution consécutive des sièges furent une foire d’empoigne à cause de la pression violente des piquets de la gauche, qui adultérèrent les scrutins et attribuèrent les sièges de députés à leur entourage. Rien n’est plus éclairant que de lire les mémoires des intéressés eux-mêmes, d’Azaña à Prieto, qui ne cachent pas ce qui s’est passé. La droite dénonça le vol de bulletins, mais ses plaintes ne furent pas prises en compte, « faute de preuves ». En pleine tourmente, le gouvernement de Portela, effrayé, résolut de confier le pouvoir à Azaña, c'est-à-dire aux vainqueurs du premier tour, de telle sorte que le second tour des élections – puisqu’il s’agissait d’un système à deux tours – fût placé sous le contrôle de ceux-là même qui avaient falsifié le premier. La propagande a grandement mythifié la victoire électorale du Front Populaire en 1936, mais la vérité est que ce fut, à proprement parler, une fraude électorale.


Que faisait Franco à ce moment-là ? Il allait ici et là. Il apparaissait dans la vie publique, mais sans éclat. En 1936, Franco était un jeune général de 44 ans – il portait ce grade depuis l’âge de 33 ans – qui éveillait les plus grands soupçons au sein du Front Populaire. Il avait été gentilhomme de chambre du roi Alphonse XIII, qui parraina même son mariage, ce qui faisait de lui un monarchiste même s’il ne l’était pas d’une manière militante. Premier directeur de l’Académie Militaire de Saragosse – jusqu’à ce qu’Azaña la ferme – relégué ensuite au commandement d’une brigade à La Corogne avant d’être dédommagé par une affectation aux Baléares, Franco entra de nouveau dans le cercle des dirigeants militaires lorsque le gouvernement de Gil Robles l’éleva au rang de général de division et, bien plus, lorsque lui fut confiée la mission d’étouffer la révolte d’octobre 1934, ce qu’il fit sous le commandement nominal d’un militaire républicain et maçon, le général López Ochoa. L’année suivante, Franco fut désigné chef d’État-Major de l’Armée, une nomination qui le plaçait sans équivoque dans le champ de la droite républicaine. C’est pourquoi il fut éloigné aux Canaries lorsqu’Alcalá Zamora priva la droite de pouvoir.


Le gouvernement du Front Populaire fit rapidement la preuve de sa faiblesse. Azaña forma un cabinet exclusivement républicain, sans socialistes, car ceux-ci, en dépit de leur majorité parlementaire, préférèrent se maintenir en marge des ministères. Par générosité ? En réalité, non. Il s’agissait plutôt pour eux d’achever dans les rues ce qu’ils n’auraient pas pu faire dans l’exercice du pouvoir. Si Alcalá Zamora espérait pouvoir contrôler la gauche républicaine, les faits démontrèrent qu’il s’était gravement trompé. L’erreur d’Azaña ne fut pas moindre, qui pensait de son côté pouvoir contrôler les socialistes. Un fait seulement : l’état d’urgence, proclamé formellement par le gouvernement Portela Valladares le 17 février 1936, fut ensuite prorogé, mois après mois, par le gouvernement d’Azaña contre ce que le Front Populaire lui-même promettait dans son programme [à suivre].

José Javier Esparza

Source : LA GACETA

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