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Totalitarisme, dictature, antisémitisme : différences fondamentales entre Franco et Hitler



En raison des interprétations aujourd’hui dominantes, fruits de différentes idéologies politiques, s’est installée dans l’opinion publique la thèse que Franco était une sorte de satellite de l’Axe. Il est dès lors important de clarifier certains points. Entre les deux chefs d’Etat, l’espagnol et l’allemand, il y avait des coïncidences mais aussi des divergences. C’est ce que nous aide à découvrir l’importante documentation conservée : Le Führer et son épouse se sont suicidés à Berlin dans leur Bunker, en 1945 ; le Caudillo est resté à son poste jusqu’à sa mort, due à des causes naturelles, en 1975.


La plus importante des différences, selon les documents dignes de foi, a rapport à la religion : Hitler était un matérialiste dialectique, tourné vers le racisme, mais l’Holocauste avait aussi des racines religieuses ; Franco, catholique pratiquant, était obéissant et soumis au Vatican. Ce dernier, qui fut d’ailleurs le premier à condamner doctrinalement le nazisme par l’encyclique de Pie XI significativement intitulée Avec une angoisse ardente, qualifiait de « néo-païens » les nouveaux courants idéologiques nés du matérialisme dialectique (1).


La seconde différence, qui n’est pas moins décisive, réside dans la forme que l’un et l’autre ont prétendu donner à l’Etat. Le totalitarisme avait été défini par Lénine comme une manière de soumettre toutes les dimensions de la société et l’Etat lui-même à la domination du parti. Franco, en exécutant cette espèce de renversement qui diluait tous les partis à l’intérieur du Movimiento (le Mouvement), a évolué vers ce modèle contraire que Linz définit sous le terme autoritarisme (2) ; soumettre tous les choix politiques au pouvoir de l’Etat, en lequel réside toute autorité.


Aujourd’hui, on montre une préférence pour définir le franquisme comme une dictature. C’est un qualificatif que le Caudillo, à la différence de Primo de Rivera, n’a jamais utilisé pour soi. Franco l’a rejetée lorsqu’elle lui a été proposée. L’autoritarisme est bien plus que la simple dictature, telle qu’elle apparaît dans le droit romain. Franco a concentré dans sa personne la direction de l’Etat, la présidence du gouvernement et le commandement de l’armée, sans fixer de limites dans le temps, ni dans l’espace, en ne limitant ce pouvoir que par les Lois fondamentales qui allaient être promulguées. Il rejetait les partis et affirmait qu’il s’agissait de revenir à une « monarchie catholique, sociale et représentative ». Quelque chose, en définitive, de très différent du Reich.


Nous pouvons trouver une troisième différence dans la guerre. Hitler la considérait comme un instrument indispensable à l’établissement de l’Ordre nouveau européen. Franco, au regard de sa propre expérience, la considérait comme un mal auquel il ne convenait de recourir que lorsqu’il n’était plus possible d’agir autrement. Par exemple, il pensait qu’elle était légitime face à l’expansionnisme soviétique mais il considérait qu’elle était une erreur à l’égard des puissances occidentales, qui auraient dû au contraire s’unir pour le contenir. Par ailleurs, on a l’impression qu’il considérait la victoire allemande comme la fin de son propre pouvoir ; il serait alors remplacé par des dirigeants plus en accord avec les doctrines nazies. D’où les efforts qu’il a faits pour se tenir en marge du grand conflit mondial.


La quatrième différence est dans sa relation avec les juifs. Il a maintenu l’application de la loi promulguée par Alphonse XIII, au temps de la dictature de Primo de Rivera, qui permettait aux juifs sépharades d’obtenir des papiers d’identité espagnols. C’est pourquoi, même si le sionisme s’est placé aux côtés de la République, les juifs sépharades et orthodoxes du Maroc et de Roumanie contribuèrent financièrement à la cause des nationalistes. L’Eglise, en outre, adressait de sérieux avertissements contre l’antisémitisme ambiant. Un double engagement auquel Franco s’est montré fidèle en augmentant les aides apportées aux juifs chaque fois que parvenaient des nouvelles d’accroissement des persécutions contre eux. Les mouvements catholiques espagnols se montraient eux aussi préoccupés : les persécutions religieuses pouvaient s’étendre de même à leurs propres coreligionnaires, dont beaucoup d’ailleurs souffrirent de la persécution nazie.


Finalement, il convient de tenir compte des conditions économiques. Hitler n’était pas intervenu dans la guerre civile espagnole de manière désintéressée. Comme devait le déclarer clairement Göring lui-même, le moment était venu, après ce conflit, de recueillir le « butin », c’est-à-dire d’employer la dette croissante contractée par Franco en faisant l’acquisition d’entreprises qui permettraient le contrôle des minerais et des autres matières premières espagnoles. Une bataille que les collaborateurs de Franco gagnèrent, quoique partiellement. Une partie de cette dette de guerre subsistait encore en 1945, et ce sont les Etats-Unis qui l’ont prise en charge.


Source : Luis Suárez Fernández, Franco y el III Reich, Previas.


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(1) L'auteur, offre un exemple, ultérieurement, dans le même ouvrage, à propos du déséquilibre qui existait dans les relations commerciales entre l'Allemagne et l'Espagne et de l'« égoïsme féroce » de la première en particulier dans le domaine du cinéma. « Les allemands rejetaient en revanche quelques-unes des productions espagnoles, comme Raza ou Marianela (qui avait obtenu une récompense au Festival de Venise », parce qu'il ne fallait « ni crucifix ni choses de ce genre par ici ».


(2) NdT - On peut consulter, sur ce point : Juan Linz, “An Authoritarian Regime: The Case of Spain”, in: ALLARDT E., LITTUNEN Y., (eds.), Cleavages, Ideologies, and Party Systems. Contributions to Comparative Political Sociology, Helsinki, The Academic Bookstore, 1964, p. 291-341 (Transactions of the Westermarck Society). Revue et augmentée, cette étude-définition fut reprise plus tard dans “Totalitarian and Authoritarian Regimes”, in: GREENSTEIN F. E., POLSBY N. W., (eds.), Handbook of Political Science. Macropolitical Theory (Vol. 3), Reading (Mass.), Addison-Wesley Publishing Co., 1975, p. 175-411 ; Totalitarian and Authoritarian Regimes, London, Boulder, Lynne Rienner Publishers, 2000. Cf. Guy Hermet, “Autoritarisme, démocratie et neutralité axiologique chez Juan Linz”, in Revue internationale de politique comparée, “La politique comparée selon Juan J. Linz", 2006/1 (vol. 13), pp. 83 ss.

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